Ask.fm, un réseau social en vogue chez les adolescents

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« T’es petit. » Du haut de son mètre 57, Samy, 14 ans, avoue avoir peu apprécié ce message anonyme reçu sur son ordinateur. D’autant plus qu’un « Nique ta mère » a suivi, visible par tous sur Internet. Pourtant, ce collégien de la région parisienne, dont le prénom a été modifié, n’envisage pas de se désinscrire d’Ask.fm, le site sur lequel il a reçu ces insultes.

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nTop 10 des pays où Ask.fm a le plus d'audience.n

 

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Ce réseau social, le plus underground du moment, connaît un succès fulgurant : 1,3 million de Français, dont la moitié sont âgés de moins de 17 ans selon Médiamétrie, sont allés y faire un tour en mars, soit quatre fois plus qu’en octobre 2012. C’est déjà le troisième réseau social en temps passé (trois quarts d’heure par mois) en France, derrière Twitter (1 heure) et Facebook (5 heures). Samy y consacre « une demi-heure par jour. Mais on n’en parle pas vraiment à l’école »,précise-t-il.

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« ON PEUT VOIR CE QUE LES GENS PENSENT DE SOI »

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Lancé à Riga (Lettonie) en juin 2010, Ask.fm affiche un principe simple : « Les personnes communiquent entre elles principalement en posant et en répondant à des questions », explique le cofondateur Mark Terebin. Même si l’âge minimal requis est 13 ans, nombre d’écoliers et collégiens, petits frères et soeurs de la génération Facebook, mentent pour faire partie du club.

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nCapture d'écran du site Ask.fmn

 

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Comme d’autres élèves de quatrième, c’est par Facebook que Samy a découvert le site. « Le concept m’a plu. On peut voir ce que les gens pensent de soi »,raconte-t-il. Samy s’est donc inscrit en décembre 2012 et s’est empressé departager la nouvelle avec ses 300 amis Facebook afin qu’ils deviennent membres à leur tour.

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Ce recrutement viral est la clé de l’incroyable succès d’Ask.fm, déjà 91e site Internet mondial selon comScore. Le réseau – à ne pas confondre avec le moteur de recherche Ask.com – comptait 5 millions de membres en avril 2012, il en accueille 53 millions désormais.

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10E RÉSEAU MONDIAL

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Ask est devenu le 10e réseau mondial, juste après, dans le désordre, quatre américains (Facebook Twitter, Linkedin, Tumblr), trois chinois (QQ, Weibo, Pengyou) et deux russes (VK, Odnoklassniki). Au Brésil et en Argentine, près d’un internaute sur cinq est assidu. Cette propagation est d’autant plus rapide que lesréseaux sociaux sont désormais largement acceptés dans les cercles familiaux. Les jeunes se détournent de Facebook, cherchant d’autres sources de sensation en ligne, alors que Twitter leur paraît compliqué.

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Le succès planétaire d’Ask.fm ne l’empêche pas d’être rattrapé par une actualité plus sombre. Le 9 septembre 2012, le Safer Internet center bulgare (helpline – assistance téléphonique – dépendant de la Commission européenne) reçoit 900 appels dénonçant les agissements d’une fillette de 11 ans, dévêtue, et d’un garçonnet de 5 ans, offrant sur Ask de s’exécuter à n’importe quelle demande. « Le site ne nous a pas communiqué l’adresse IP de l’ordinateur des enfants, préciseGueorgui Apostolov, de la helpline. Mais le 10 septembre, la cellule bulgare contre le cybercrime a arrêté le prédateur de 29 ans. »

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« IL FAUT FAIRE DU TRASH POUR ÊTRE REMARQUÉ »

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Même si la majorité des messages publiés parlent musique, flirt et copinage, « pour chaque membre, le nombre de réponses reçues est comptabilisé, et un classement est publié, explique Pascale Garreau, responsable du programme Internet sans crainte. Il faut donc faire du trash pour être remarqué et générer des réponses. C’est un véritable pousse-au-crime. »

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nCapture d'écran du site Ask.fmn

 

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En septembre et octobre 2012, deux Irlandaises de 15 ans et 13 ans se donnent la mort. « Membres du réseau, elles s’y étaient fait insulter, mais étaient également victimes de harcèlement à l’école », indique Laura Higgins, responsable du Safer Internet center britannique.

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Lire aussi : Malgré des dérapages à l’étranger, la percée d’Ask.fm en France est passée inaperçue

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Deux mois plus tard, la grande soeur d’une d’entre elles se suicide également. « Ce qui est arrivé est une tragédie, et nous adressons nos plus profondes condoléances à la famille et aux amis », écrit alors Mark Terebin sur son site.« Ask.fm est juste un outil qui aide les gens à communiquer entre eux. (…) Ne blâmez pas un outil mais essayez de changer les choses, (…) commencez parvous-même. Soyez plus polis (…) plus tolérants les uns envers les autres. (…)Cultivez ces valeurs en famille, à l’école. » Cette réaction a été très mal accueillie outre-Manche alors que « cinq à six cas de suicides d’adolescents victimes de harcèlement sur ce réseau sont à déplorer depuis septembre, même si aucun lien de causalité n’est prouvé », observe Laura Higgins.

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30 MILLIONS DE QUESTIONS ET RÉPONSES PAR JOUR

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Le principal problème d’Ask.fm est la faible protection de ses utilisateurs : tout nouvel inscrit accepte, par défaut, de recevoir des messages anonymes, « une fonction que de nombreux jeunes ne savent pas désactiver », déplore MmeGarreau. Ce sont ces messages sans auteur qui véhiculent les pires injures visibles par tous. Car en s’inscrivant, tout membre « accepte la diffusion mondiale des informations sur le Web », ajoute Mme Garreau.

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nCapture d'écran du site Ask.fmn

 

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Pour contrôler ce contenu, le site ne dispose que de 50 modérateurs externes, alors que sont postées quotidiennement 30 millions de questions et autant de réponses. Enfin, les conditions d’utilisation ne sont disponibles qu’en anglais, alors que le site, très efficace commercialement, est proposé en 32 langues et est rentable, une prouesse sur Internet lorsqu’on n’a pas trois ans.

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Au Royaume-Uni, Laura Higgins remarque qu’Ask.fm est désormais réactif et « a enlevé, en moins de quinze minutes, les attaques reçues par une jeune fille sur la mort récente de son père ». Pour autant, cette observatrice reconnaît militer sans succès auprès du site « pour que l’option acceptation des messages anonymes ne soit plus incluse par défaut, dès l’inscription ».

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« DÉFOULOIR ORGANISÉ »

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Pour la plupart des adolescents, « Ask joue le rôle d’un défouloir organisé », analyse le psychiatre et psychanalyste Patrice Huerre. Mais « pour les plus fragiles, les 10 % à 15 % d’adolescents qui n’ont pas de distances critiques face à ce qu’ils reçoivent, ces propos reçus en ligne peuvent être terribles ». Pour parer cette tendance, le site nous répond vouloir « rendre encore plus strict le contrôle de modération dans le futur ».

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Samy, en tout cas, connaît par coeur son score de réponses reçues : 926 depuis son inscription. En revanche, il ignorait tout des problèmes du site dans d’autres pays. « C’est chaud », commente-t-il. Il n’envisage cependant pas de se désinscrire du réseau. Son meilleur ami Oscar, 15 ans, vient même de l’y rejoindre.

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Laure Belot

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Source : Le Monde.fr

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