Vers une «Uberisation » des détectives privés ?

Création d’une application pour engager une filature sur le pouce ? n

Besoin d’un privé pour suivre votre épouse une heure ou deux en fin d’après-midi? Pour faire une petite vérification de pré-embauche? Pour s’assurer que la nounou surveille votre enfant au parc au lieu de bavarder non-stop au téléphone? Il suffit de remplir un formulaire ultra-simplifié et d’attendre pour les photos et vidéos. Coût: 35$ de l’heure, à en croire le site de FlimFlam, soit moitié moins que ce que la plupart des enquêteurs privés américains (hors métropoles) facturent de l’heure. (1)

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Faut-il se réjouir de l’émergence d’une application capable de rendre les services d’un détective privé accessibles à un plus grand public? Le jeune entrepreneur-enquêteur Brian Willingham, très porté sur les nouvelles technologies, se dit «fasciné» par ce modèle: il estime que FlimFlam peut démystifier et simplifier l’accès aux privés. Trop de citoyens songent à employer un détective mais n’osent pas ou ne savent pas par où commencer. En qui faire confiance? Combien le service va-t-il me couter à la fin? Comme pour Uber, FlimFlam promet la garantie d’un intermédiaire neutre, un service au consommateur et un remboursement à 100% en cas de litige.

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Sans surprise, les enquêteurs privés ayant débuté leur carrière à l’époque du télécopieur sont plus méfiants. Aux réunions de détectives, les pros de la vieille école (look répandu: chemise hawaïenne, queue de cheval poivre et sel, sonnerie de portable «Panthère Rose») pestent depuis des années contre les géants scandinaves de la surveillance qui ont envahi et bouleversé le marché américain. Ces grandes firmes ont raflé les contrats auprès des grandes compagnies d’assurance et emploient les agents de recherche privés en sous-traitants, à des taux horaires misérables. Une appli comme FlimFlam va forcément agiter la carotte d’un gros volume de travail pour attirer des pros certifiés à de tels prix.

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TOUT VA BIEN JUSQU’AU DÉRAPAGE

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Perso, en fan et utilisatrice fréquente de Uber, AirBnB et autres révolutionnaires de l’économie de partage, j’aime le principe de transparence, de responsabilité et de redevabilité, comme le système de critiques et de recommandations. Tout le monde se comporte mieux pour collectionner les bons points, très bien. Jusqu’aux dérapages. En dehors des gros problèmes évidents (est-ce que qu’un stalker armé, au casier judiciaire bien garni, peut demander de localiser son ex à partir d’un téléphone volé à un citoyen respectable?) je me demande qui va bien vouloir accepter de travailler pour le réseau. A New York, où le coût de fonctionnement est particulièrement élevé, les détectives mènent un parcours du combattant pour être licencié par l’état et doivent, en plus, appliquer une TVA sur leurs services. Et vraiment, FlimFlam n’est pas un bon nom. «Flim-Flam» veut dire «arnaquer.» Et vous connaissez peut-être l’expression en anglais «to go up in flames?» Oui, qui s’embrasse et part en fumée!

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La plupart des privés qui s’expriment sur l’émergence de FlimFlam estiment que les clients du service ne seront pas une grosse perte. La plupart évitent déjà de travailler avec le grand public et favorisent les pros: avocats, entreprises, municipalités. Ils estiment que les clients exigeants privilégient un service plus personnalisé. Des compagnies d’assurance séduites par les sirènes des discounters scandinaves de la filature sont déjà retournées auprès de petites agences pour un service de qualité. On peut choisir d’être optimiste et se réfugier derrière le vieil adage «You get what you pay for.»Les clients réguliers et de qualité (car l’appréciation va dans les deux sens) apprécient d’avoir le numéro perso de leur détective attitré, sur qui ils peuvent compter pour les écouter, répondre à leurs demandes en toute confidentialité.

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Ceci dit, le toujours astucieux Brian Willingham a tout à fait raison de souligner que le secteur de l’enquête de droit privé est «hautement inefficace et mérite un petit chamboulement». Avec des dizaines de milliers de détectives solo entrepreneurs, dispersés dans tous les Etats-Unis, on imagine l’impact d’une appli qui permettrait de localiser et de communiquer avec des sous-traitants et autres collègues de confiance, rapidement et efficacement, surtout dans les métropoles pour une assistance immédiate en langues étrangères, une recherche dans une base de données particulière, un renfort sur une filature en jogging dans Central Park… Bref, toutes les situations dans lesquelles l’union de tous ces talents mal coordonnés peut faire la force.

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(1) Nous avons tenté de communiquer avec FlimFlam mais notre appel a été transféré à un répondeur… Toute mise-à-jour sera bien entendu signalée.

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Source : Libération, Detective Story, le 05/05/2015, par EMMANUELLE WELCH

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